Et la création dans tout ça ?

 

8 Juillet 2003.
Pour la première fois dans l'histoire depuis 1947, le Festival d'Avignon est annulé ! Celui d'Aix aussi, les "Francofolies" de La Rochelle de même, les "Vieilles Charrues" y échappent par miracle suite à un incroyable mouvement de foule spontané qui a fait barrage aux cégétistes de service qui voulaient en troubler le déroulement. Un peu partout en France les artistes sont en colère !... Il me semble essentiel de dire quelques mots sur ce sujet.

Signalons tout de suite que seul le Festival "IN" d'Avignon est annulé, mais que le "OFF" qui comporte tout de même plus de 600 troupes théâtrales, reste lui d'actualité.

N'hésitez donc pas à passer tout de même par ces villes, vous y trouverez largement de quoi vous amuser et vous soutiendrez par votre geste les innombrables artistes qui ont fait l'effort de préparer leurs spectacles, parfois depuis plus d'un an, souvent en prenant personnellement des risques financiers importants pour les produire, afin de vous satisfaire... Merci pour eux. Ceux là ne font que la grève du zèle, mais soutiennent quand même le mouvement d'insatisfaction générale. N'hésitez pas à les écouter, ils vous expliqueront peut-être mieux que les grands médias le pourquoi de leur colère.

Car ils ont raison d'être en colère, mais ceux qui ont décidé de ne pas jouer ont-ils eu raison de se fourvoyer dans une telle action suicidaire, décidant délibérément de décevoir leur public et de mettre en danger les villes qui les accueillent ? On peut s'interroger...

Qu'est-ce donc que cette affaire de statut des "intermittents" ?

"Qu'est-ce qu'y z'ont ?... Sont pas contents ?... Sont pas assez payés quand ils sont au chômage ?... Tas de faignants ! Z'ont qu'à travailler comme tout le monde !... "

Voilà quelques réflexions imbéciles qui fleurissent au coin des lèvres de nombreux "beaufs" (mais si, vous en connaissez !) qui ne comprennent rien à rien avant d'avoir pris leur enième Pastis au comptoir de l'auto-bar...

La vérité est toute autre. Le statut d' "Intermittent" n'est pas à proprement parler une assurance chômage comme les autres, même s'il est géré par les ASSEDIC. Et c'est bien là tout le problème.

Voilà exactement à quoi il est sensé servir :

Qu'il soit entendu qu'on ne parle pas ici des têtes d'affiches, encore moins des "vedettes" de télé ou de cinéma, mais des artistes de spectacles VIVANTS comme les innombrables petites troupes théâtrales ou groupes de danse ou de musique, généralement sous forme associative, qui assurent l'animation de nos villes. Du moins ne devrait-on parler que de ceux-là, les autres n'ayant que peu de chose en commun avec ce statut d'intermittent.

Ces artistes donc, ne sont payés que lorsqu'ils travaillent publiquement pour un "cachet", c'est- à-dire généralement lorsque les spectateurs des petites salles paient leur ticket, rarement autrement. Mais il ne sont payés que pour deux heures si le spectacle lui-même dure deux heures. Personne ne tient compte des innombrables heures de répétition, de transport des décors, de leurs instruments ou de l'installation de leur sono, de l'apprentissage des derniers morceaux sortis, etc., représentant l'essentiel de leur travail. Tout ça reste caché, la "magie du spectacle" ne doit pas être brisée aux yeux du public, mais il s'agit pourtant bien de travail !

Pour permettre à ces "intermittents" de rechercher d'autres engagements et/ou de préparer leur spectacle suivant, spectacles par définition ponctuels, il leur faut un statut qui leurpermette de vivre entre temps. Ce n'est pas un statut comme une assurance chômage d'un quelconque employé de bureau, qui retrouvera un CDD ou un CDI dans l'année, et qui travaillera de nouveau plusieurs mois, voire plusieurs années d'affilée, avant de se retrouver sans emploi. Un artiste est presque toujours sans emploi mais c'est là qu'il travaille le plus, à la préparation du spectacle suivant !

Il s'agit donc bien avec ce statut particulier de couvrir les temps morts, "l 'intermittence", le mot est parfaitement adapté... Avec l'ancien statut, déjà peu favorable aux débutants, il fallait avoir travaillé 507 heures dans l'année pour prétendre aux indemnités de chômage durant 12 mois.

Prenons un exemple pour mieux comprendre :

Une troupe de comédiens a monté un spectacle de deux heures qu'elle donne en représentation deux fois par semaine pendant deux mois. Chaque artiste sera donc payé 2 heures x 2 fois x 8 semaines = 32 heures. (indépendamment du montant horaire de son cachet qui peut varier énormément pour les têtes d'affiches mais qui se trouve souvent très bas pour la grande majorité des artistes).

Mais si le spectacle ne fait pas l'année, (et ils sont extrêmement rares à durer trois mois, même parmi les têtes d'affiches des théâtres parisiens) il faudra alors à cette troupe préparer un autre spectacle. C'est un long travail d'apprentissage et de répétitions, de création des décors, etc., qui dure au moins autant, souvent deux fois plus longtemps que la période des représentations elle-même. En admettant que cette troupe donne trois spectacles dans l'année selon la même périodicité que l'exemple ci-dessus, chaque artiste aura travaillé "officiellement" 32 x 3 = 96 heures payées dans l'année. On est très loin des 507 nécessaires. On s'aperçoit que pour remplir ces conditions de 507 heures par an, il faut en fait donner une représentation de 2 heures chaque soir de la semaine pendant près de 9 mois. Alors, mais alors seulement, on peut espérer être payé 39% du salaire perçu entre deux représentations pour les heures passées à répéter ! Vous avez bien lu ! leur indemnités journalières de chômage sont versées à hauteur de 39% du salaire perçu pendant les heures "déclarées", c'est-à-dire celles des représentations. Est-ce vraiment trop ? Dans quel métier est-ce qu'on accepterait cela ?

Il fallait donc un statut à part pour les artistes, et ils l'avaient. Mais le Medef ne voit pas les choses comme ça. Pour lui, le nombre d'intermittents ayant énorménent grossi depuis quelques années, les ASSEDIC étaient en déficit à cause des artistes, et il fallait prendre des mesures pour décourager les incapables d'accéder à ce statut.

C'est clairement une hérésie de penser qu'un tel statut puisse s'équilibrer financièrement de lui-même. Evidemment, la création coûte cher, beaucoup plus cher que dans n'importe quel autre métier. Est-ce une raison pour lui couper les ailes à la racine ? Bien sûr non ! Ou il ne faudrait pas s'étonner dans quelques années de n'avoir plus qu'une Culture monolithique, une Culture de la Pensée Unique !

Là où le problème se complique - et c'est en grande partie l'explication du déficit chronique de ce "régime spécial" des ASSEDIC - c'est que de grosses et grasses "Boîtes de Prod", comme on dit à la Télé, profitent honteusement de l'existence de ce statut pour engager "à la petite semaine" des artistes qu'elles utilisent pourtant à jet continu, faisant payer ainsi à un régime qui n'est pas conçu pour cela les périodes creuses entre leurs émissions enregistrées, ou même des grosses entreprises comme Disney emploient des "saisonniers" qu'elles font passer pour intermittents, évitant ainsi de leur payer des indemnités de précarité comme on paie aux intérimaires, et faisant supporter au régime des intermittents des charges, légales certes, mais parfaitement illégitimes.

Le problème vient de ce que cette définition d' "intermittent" n'est pas suffisamment précise, et qu'on y met un peu tout et n'importe quoi. Elle ne devrait concerner que le spectacle "vivant" en général, et la télé ou le cinéma de manière beaucoup plus restrictive. Mais de gros intérêts sont en jeu dès qu'on touche à la TV ou au Cinéma. Et c'est là que le Medef voit les choses sous un angle complètement étranger au domaine artistique. Lui ne sait parler que "gros sous" !

La difficulté s'accroît encore du fait que les artistes sont par nature des passionnés, des créateurs, des rêveurs. Ils ne sont pour la plupart pas du tout syndiqués (moins de 6% tous syndicats confondus) et, du coup, les interlocuteurs qui négocient avec le Medef ne sont pas vraiment des "spécialistes". Certains ont donc signé un peu vite un accord qui ne satisfait pas les vrais intemittents. Et d'un autre côté, la politique étant ce qu'elle est, d'autres syndicats, pas davantage représentatifs des vrais intermittents, tirent les médias vers un "bras de fer politique" avec le gouvernement qui n'a plus grand chose à voir avec le sujet de leur statut, sans tenir compte des retombées désastreuses pour les artistes.

Il est vrai que statistiquement, beaucoup d'artistes se situent politiquement à gauche, mais le véritable problème n'est pas là ! Il tient tout simplement à la très mauvaise défense de leurs métiers par des gens qui n'y ont malheureusement rien compris.

Le comble étant une réflexion entendue dans la bouche d'un prof cégétiste, qui avançait bien imprudemment que la lutte des intermittents pouvait être considérée comme une prolongation de la grève des profs contre la réforme des retraites ! On aura tout entendu ! Bonjour la récupération ! Comme si la Culture avait quelque chose à voir avec l'Education Nationale ! Si les profs avaient le moindre sens du spectacle, on verrait sans doute leurs élèves obtenir de bien meilleurs résultats !

Courage, les artistes ! Profitez du Grand Débat National qui vous est offert pour vous organiser, ne comptez pas sur des syndicats ou organismes ultra politisés pour vous sortir de cette crise ! Prenez les choses en main vous-même face au Medef, le ministre n'est pas plus contre vous que la plus grande partie de l'opinion. Mais, de grâce, ne montrez plus ce spectacle de vos incohérences, de votre incapacité à vous définir et à vous faire entendre. Vous savez, par expérience, que crier fort n'est pas utile au théâtre pour se faire entendre ! Au contraire ... Tout n'est qu'une question d'acoustique !

Que Dieu, Allah ou Jehovah vous garde ! A la prochaine.

 

J.M.

 

 

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